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L'indéfectibilité de l'Église particulière de Rome

par Mgr John Clifford Fenton

Mgr Fenton était un grand théologien anti-moderniste, et mourut en 1969. Défenseur de l'orthodoxie catholique, face à la crise de Vatican II et aux dangers qui se profilaient, il publia en octobre 1962 un ouvrage intitulé « The Virtue of Prudence and the Success of the Second Ecumenical Vatican Council » (La vertu de prudence et la réussite du second Concile oecuménique) ; cet ouvrage avait pour but de rassurer les catholiques en leur faisant observer qu'en tout état de cause, le concile Vatican II ne pourrait enseigner des hérésies stricto sensu. Sur ce point, les sédévacantistes de Novus Ordo Watch (un site internet américain), affirment que Mgr Fenton voulait dire qu'en partant du principe que Paul VI était pape, il ne pouvait enseigner l'hérésie ; mais que si ce prélat était mort plus tard, avec le recul, il aurait pu déclarer, avec eux, que Paul VI n'était pas pape. Or, une telle analyse revient à ignorer à la fois l'article de Mgr Fenton sur l'indéfectibilité de l'Église particulière de Rome, et la doctrine de l'indéfectibilité de l'Église universelle, à la lumière desquels il est interdit de penser que tout l'épiscopat ou presque puisse adhérer à des hérésies, avec ou sans la présence d'un pape.

 

À Novus Ordo Watch, nous répondons donc que non, Mgr Fenton n'aurait certainement pas considéré, comme eux, que tout l'épiscopat a enseigné des hérésies, et ce d'un même mouvement : sinon, le prélat se serait lui-même déclaré hérétique, parce qu'il aurait, avec les sédévacantistes, nié l'indéfectibilité de l'Église ! Mgr Fenton était suffisamment instruit pour éviter ce genre d'écueil théologique. Il voulait tout simplement dire que si jamais le concile devait soutenir des affirmations erronées, aucune ne serait couverte par l'infaillibilité, faute d'une détermination finale et irrécovable d'un point de doctrine.

 

De surcroît, l'intérêt majeur de cet article de Mgr Fenton est de démontrer qu'il est impossible que l'Église locale de Rome, en tant que corps hiérarchique, fasse défection, c'est-à-dire sombre dans le schisme ; ce qui signifie que dans la situation actuelle de l'Église, suite à l'apostasie du clergé romain (soumis à un antipape), le corps hiérarchique ne peut être sauvegardé qu'en la personne de son chef en exil, le Pape Paul VI.

 

Le texte qui suit est l'article de Mgr Fenton :

 

Selon la divine constitution du royaume de Notre-Seigneur sur cette terre, l'appartenance à ce royaume, à savoir à l'Église universelle militante, implique normalement l'appartenance à quelque communauté locale ou individuelle à l'intérieur de l'Église universelle. Ces communautés individuelles dans l'Église catholique sont de deux sortes. D'abord il y a les nombreuses Églises particulières, les assemblées de fidèles dans les différentes régions de la terre. Ensuite, il y a les religiones, assemblées de fidèles organisées unice et ex integro pour l'accomplissement de la perfection chez ceux qui y sont admis. Selon la Constitution apostolique Provida mater ecclesia, « la discipline canonique de l'état de perfection en tant qu'état public fut si sagement régulée par l'Église que, pour le cas d'instituts religieux ecclésiastiques, dans les matières qui concernent de manière générale la vie ecclésiastique et religieuse, les instituts tinrent la place de diocèses, et l'appartenance à une société religieuse fut l'équivalent de l'incardination d'un clerc dans un diocèse ».1

 

Parmi ces communautés individuelles qui vivent à l'intérieur de l'Église universelle de Dieu sur terre, l'Église particulière de Rome occupe manifestement une position unique. Les théologiens du passé soulignaient nettement ces prérogatives de l'Église romaine. Malheureusement, aujourd'hui, les manuels de théologie sacrée, dans l'ensemble, s'attardent presque exclusivement sur la nature et les caractéristiques de l'Église universelle, sans expliquer en détail l'enseignement relatif à l'Église particulière [de Rome]. Conformément à cette tendance, ils ont choisi d'évoquer le rôle du Saint-Père en relation avec l'Église à travers le monde entier, et ont comparativement accordé peu d'attention à sa fonction précise de chef de l'Église chrétienne de la Ville Éternelle.

 

Aussi, nous-même et les personnes que Dieu a chargé d'instruire son troupeau avons tendance à oublier que c'est précisément parce qu'il préside cette congrégation locale particulière que le Saint-Père est le successeur de Pierre et donc la tête visible de toute l'Église militante. La communauté chrétienne de Rome était et demeure l'Église de Pierre. L'homme qui gouverne cette communauté avec le pouvoir apostolique au nom du Christ est le successeur de Pierre, et est donc le Vicaire de Notre-Seigneur dans le gouvernement de l'Église universelle.

 

C'est sans aucun doute l'enseignement commun parmi les théologiens scolastiques que la charge de chef visible de toute l'Église militante est inséparablement attachée à la position d'évêque de Rome, et que cet attachement permanent existe en raison de la divine constitution de l'Église elle-même. En d'autres termes, une imposante majorité de théologiens catholiques ayant écrit sur ce sujet particulier ont manifesté la croyance qu'aucune institution humaine, pas même le Saint-Père lui-même, pourrait transférer à un autre siège épiscopal que celui de Rome la primatie de juridiction sur l'Église universelle, ou séparer cette primatie de la fonction d'évêque de Rome et de ses prérogatives essentielles. Conformément à cet enseignement communément accepté, le successeur de Pierre, vicaire du Christ sur la terre, ne pourrait être autre que l'évêque qui préside la communauté chrétienne particulière de la Ville Éternelle.

 

Dès ses premières heures, la théologie scolastique enseigna expressément que lorsque St. Pierre s'établit comme chef de la communauté chrétienne de Rome, il agit sous l'ordre de Dieu lui-même. Alvaro Pelayo enseigne donc que le Prince des apôtres transféra son Siège d'Antioche à Rome « iubente Domino » [sur ordre du Seigneur], et que l'emplacement du siège principal du sacerdoce chrétien dans le « caput et domina totius mundi » devait être attribué à la providence divine.2 Un siècle plus tard, le cardinal Jean de Turrecremata insista sur le fait qu'un commandement spécial du Christ avait constitué Rome comme le Siège primatial de l'Église catholique.3 Turrecremata fit valoir que cet acte de Notre-Seigneur rendait impossible pour le Souverain Pontife lui-même de détacher la primatie de sa propre Église particulière qui se trouve dans la Ville Éternelle. Plus tard, le cardinal Cajetan enseigna que St. Pierre avait établi son Siège à Rome par l'ordre exprès de Notre-Seigneur.4

 

Les théologiens de la Contre-Réforme ont abordé cette question avec beaucoup plus de détails. Dominique Soto défendit l'enseignement, préalablement attaqué par Turrecremata, selon lequel la fixation du Siège primatial à Rome était attribuable à St. Pierre seul, en sa capacité de chef de l'Église universelle.5 Soto soutint donc que n'importe quel successeur de St. Pierre au Souverain Pontificat pourrait, s'il le décidait, transférer le Siège primatial à une autre ville, exactement de la même manière et exactement avec la même autorité que St. Pierre lorsqu'il transféra la primatie d'Antioche à Rome.

 

La solution de Soto n'obtint jamais de soutien considérable en ecclésiologie scolastique. Son contemporain, le belliqueux Melchoir Canon, ridiculisa l'assertion selon laquelle, étant donné qu'il n'y avait pas de preuve scripturaire en faveur de quelque ordre divin établissant le Siège primatial à Rome, le transfert opéré par St. Pierre d'Antioche à Rome ne devait être attribué qu'au choix personnel de St. Pierre.6 Il prit occasion de cet enseignement pour mettre en lumière son propre enseignement sur l'importance de la tradition comme source de la révélation et comme locus theologicus.

 

La thèse traditionnelle selon laquelle Rome est et sera toujours le Siège primatial de l'Église catholique reçut son principal développement dans les Controverses de St. Robert Bellarmin. St. Robert dédia les quatre premiers chapitres du quatrième livre de son traité De Romano Pontifice [Du Pontife Romain] à la question De Romana ecclesia particulari [De l'Église romaine particulière]. Sa principale thèse dans ce chapitre fut l'assertion que non seulement le Pontife romain, mais également l'Église locale ou particulière de la ville de Rome, doivent être considérés comme incapables d'erreur en matière de foi.7

 

Au long de ce chapitre St. Robert exposa comme « un pieux et probable enseignement », l'opinion selon laquelle « La cathedra [chaire] de Pierre ne pourrait être retirée de Rome »8, et que, pour cette raison, l'Église romaine particulière doit être considérée à la fois comme infaillible et indéfectible. En défense de cette thèse, qu'il ne considéra par ailleurs que comme une opinion et non comme entièrement certaine, St. Robert en appela à la doctrine soutenant que « Dieu Lui-même a ordonné que le Siège apostolique fût fixé à Rome ».9

 

En aucune manière St. Robert ne récusa entièrement la thèse de Dominique Soto. Il admet la possibilité que le mandat divin conformément auquel St. Pierre assuma la direction de l'Église à Rome pourrait avoir été simplement une sorte d'« inspiration » de Dieu, plutôt qu'un ordre définitif et exprès venant de Notre-Seigneur Lui-Même. Insistant toujours sur le fait que sa thèse n'était pas matière de foi divine, il répéta l'assertion qu'il était probable et pie credendum [pieusement cru] « que le Siège a été établi à Rome par un précepte divin et immuable ».10

 

Grégoire de Valentia, cependant, enseignait que l'opinion de Soto sur ce sujet était singularis nec vero satis tuta [singulière et peu fiable].11 Adam Tanner croyait que la thèse selon laquelle « l'autorité suprême dans le gouvernement de l'Église a été attachée inséparablement au Siège Romain par institution divine directe », bien que n'étant pas une doctrine de foi, était néanmoins une chose que l'on ne pouvait nier absque temeritate [sans témérité].12 Dans son Tractatus de fide, Suarez enseigna qu'il semblait probable et « pieux » de dire que St. Pierre avait attaché la primatie sur toute l'Église militante au Siège de Rome en raison du précepte et de la volonté de Notre-Seigneur Lui-même. Suarez croyait, cependant, que St. Pierre n'avait pas reçu un tel ordre avant l'Ascension.13 Les éminents théologiens du dix-septième siècle, Francis Sylvius et John Wiggers, souscrivirent également à l'opinion selon laquelle la primatie était attachée de manière permanente à l'Église particulière de Rome en raison de l'ordre de Notre-Seigneur.14

 

Cette thèse gagna plus tard du crédit lorsque le Pape Benoît XIV l'inséra dans son De synodo diocesana.15 Le Pape Benoît croyait que St. Pierre avait choisi l'Église romaine soit sur l'ordre de Notre-Seigneur, soit par sa propre autorité, agissant sur inspiration et conseil divins. Billuart enseignait que Rome avait été choisie suite à l'instruction directe de Notre-Seigneur.16 John Perrone enseignait qu'aucune autorité humaine ne pouvait transférer la primatie du Siège de Rome à un autre siège.17

 

Plus récemment, l'intérêt pour cette thèse s'est centré sur la question de la manière par laquelle Dieu a attaché la primatie à l'épiscopat de l'Église particulière de Rome. Certains, tel Dominique Palmieri, considèrent comme probable que St. Pierre ait reçu un mandat divinement révélé afin d'établir son Siège à Rome de manière permanente, avant d'assumer la direction de l'Église particulière de la Ville Éternelle.18 D'autres, comme Reginald Schultes, croient peu plausible un tel ordre a priori, mais insistent sur le fait qu'un mandat divin explicite, à cet effet, a probablement été donné à St. Pierre avant son martyre.19 D'autres encore, tels le cardinal Franzelin et Mgrs. Felder et D'Herbigny, pensent que le choix final de Rome par St. Pierre résulta d'un mouvement de la grâce divine d'une telle nature qu'il excluait tout transfert du Siège primatial de Rome à l'avenir.20 Le cardinal Billot enseignait que Rome détenait son rang dispositione divina [par décret divin], et que cette thèse, bien que non-encore définie, était sans conteste matière à définition.21 Il est intéressant de noter que Gérard Paris écrivit que selon ce qui était le plus probable, la primatie sur l'Église universelle fut attachée à l'épiscopat de Rome iure divino [de droit divin], saltem indirecto [au moins indirectement].22 La possibilité d'un tel mandat divin indirect n'a généralement pas été considérée dans la littérature scolastique et ecclésiologique récente.

 

Une très large majorité de théologiens depuis le Concile du Vatican a soutenu la thèse que, d'une manière ou d'une autre, la primatie est perpétuellement attachée à l'Église de Rome iure divino [de droit divin]. Au sein de cette majorité on trouve des ecclésiologues exceptionnels tels le cardinal Camillus Mazzella, Bonal, Tepe, Crosta, De Groot, Hurter, Dorsch, Manzoni, Bainvel, Tanquerey, Herve, Michelitsch, Van Noort, et Lercher.23 En dépit de la prépondérance du témoignage en faveur de cette thèse, cependant, Saiz Ruiz et Calcagno rejettent les arguments théologiques habituellement présentés en sa faveur, et Dieckmann qualifie la question de « sujette à controverse ».24 Granderath démontre clairement que le Concile du Vatican, dans sa Constitution Pastor aeternus, n'a pas eu l'intention de condamner l'enseignement de Dominique Soto.25

 

Étant donné cette union inséparable de la primatie avec l'épiscopat de Rome, la théologie scolastique considère que l'Église particulière de Rome, avec les fidèles de la Ville Éternelle présidée par leur évêque qui est entouré de ses propres prêtres et autres clercs, est une institution infaillible et indéfectible. Si, jusqu'à la fin des temps, l'homme chargé de la responsabilité de présider l'Église militante universelle en tant que Vicaire du Christ sur la terre est nécessairement le chef de l'Église particulière de Rome, alors il s'ensuit de manière assez évidente que l'Église particulière de la Ville Éternelle doit être destinée par Dieu à continuer de vivre aussi longtemps que l'Église militante elle-même. Un homme ne pourrait être l'évêque de Rome à moins qu'il y ait réellement une Église Romaine qu'il puisse gouverner par autorité divine.

 

La thèse de l'indéfectibilité de l'Église particulière de Rome a reçu un développement assez considérable dans la littérature de l'ecclésiologie scolastique. Saiz Ruiz est de l'opinion que, si la ville de Rome était détruite, il serait suffisant que le Souverain Pontife garde le titre d'évêque de Rome « sicut hodie episcopi in partibus »26. Cependant, la terminologie de la plupart des autres théologiens modernes et classiques qui ont traité cette question implique un rejet de cette assertion. Les évêques in partibus infidelium, appelés évêques titulaires depuis que le Pape Léon XIII décréta ce changement de terminologie dans sa lettre apostolique In supremo du 10 juin 1882, n'ont aucune juridiction sur les catholiques de la localité où se situaient leurs anciennes églises. Personne, selon l'enseignement scolastique dominant, ne pourrait être le successeur de Pierre et donc le chef visible de l'Église militante universelle à moins d'avoir une autorité épiscopale particulière sur les chrétiens de la Ville Éternelle.

 

Bien que plusieurs théologiens, comme Suarez et aujourd'hui Mazzella et Manzoni, croient probable que le ville de Rome soit protégée par la providence de Dieu et qu'elle ne sera jamais complètement détruite27, les autres pour la plupart soutiennent que cette destruction est une possibilité. Ils avancent toutefois que la destruction des bâtiments et même le caractère complètement inhabitable de la ville elle-même, n'impliqueraient pas nécessairement la destruction de l'Église romaine particulière. Des auteurs plus anciens tel St. Robert Bellarmin étaient convaincus qu'à un certain moment, la ville actuelle de Rome était entièrement dépourvue d'habitants, cependant que l'Église du lieu, avec son clergé et son évêque, continuait à vivre.28

Quelque fois les hérétiques se sont prévalu des chapitres dix-sept et dix-huit de l'Apocalypse comme signe qu'à la fin, il n'y aurait plus de disciples du Christ au sein de la ville de Rome. St. Robert admit cette éventualité à la fin du monde, mais souligna que l'interprétation traditionnelle de cette partie de l'Apocalypse, spécialement celle popularisée par St. Augustin, n'avait rien à voir avec l'Église romaine durant la période précédant immédiatement le jugement général.29 Francis Sylvius démontra que toute application de cette partie de l'Apocalypse à l'Église romaine était tout simplement fantaisiste.30 Les théologiens modernes, Franzelin et Crosta en particulier, ont suivi cette opinion.31

 

Une autre prérogative très importante et parfois négligée de l'Église particulière de Rome est son infaillibilité. En raison de sa place particulière dans l'Église militante universelle, cette congrégation spécifique a toujours été et sera toujours protégée de l'hérésie en tant que personne morale, par la providence de Dieu. L'Église particulière de Rome, avec son évêque, son presbyterium, son clergé et son laïcat, existera jusqu'à la fin des temps dans la pureté de sa foi. St. Cyprien fit allusion à ce charisme lorsqu'il parla des catholiques romains comme de ceux « ad quos perfidia habere non potest accessum » [auprès desquels la perfidie n'a pas accès] .32

 

L'infaillibilité non seulement du Pontife Romain, mais de l'Église particulière de Rome, fut un thème central de l'ecclésiologie de quelques-uns des plus grands théologiens de la Contre-Réforme. Le cardinal Hosius proposa cette thèse dans sa polémique contre Brentius.33 Jean Driedo la développa magnifiquement.34 St. Robert expliqua cet enseignement en disant que le clergé romain et les fidèles de Rome, comme personne morale, ne pourraient jamais dévier de la foi.35 L'Église romaine, comme institution particulière, ne pourra jamais dévier de la foi. Manifestement, aucune autre Église particulière ne jouit d'une telle garantie.

 

Il est intéressant de noter que durant la vacance prolongée du Siège romain, les presbytres et les diacres de Rome écrivirent à St. Cyprien afin de manifester leur conviction que la foi de leur Église particulière, même durant cet interrègne, constituait une norme à laquelle devaient se conformer les autres Églises particulières.36 L'Église romaine ne pourrait être celle avec laquelle les autres congégrations de la chrétienté doivent s'entendre, si elle n'était dotée d'une infaillibilité spéciale. Afin d'être effective cette infaillibilité doit être reconnue de manière très pratique par les autres unités de l'Église militante à travers le monde.

 

En réalité l'infaillibilité de l'Église romaine est bien plus qu'une simple opinion théologique. La proposition selon laquelle « l'Église de la ville de Rome peut sombrer dans l'erreur » est l'une des affirmations de Pierre d'Osma, et fut formellement condamnée par le Pape Sixte IV comme erronée et contenant une hérésie manifeste.37

 

Comme il est vrai que l'Église particulière de Rome est infaillible dans sa foi, et que le Saint-Père est le seul docteur autorisé de cette Église, il s'ensuit qu'il enseigne infailliblement lorsqu'il règle définitivement une question sur la foi ou la morale, de manière à fixer la croyance de cette Église particulière. Étant donné que l'Église particulière de Rome est une référence véritable pour les autres Églises particulières, et pour le royaume universel de Dieu sur la terre, en matière de foi, le Saint-Père doit être considéré comme s'adressant à toute l'Église militante, au moins indirectement, quand il s'adresse directement ou définitivement à la congrégation locale de la Ville Éternelle. Il est donc parfaitement possible, quand il parle précisément en entendant déterminer la foi de l'Église particulière de Rome, qu'il s'agisse là d'une définition telle que celle décrite dans la Constitution Pastor Æternus de Vatican I : [celle du pape] « remplissant sa charge de pasteur et de docteur de tous les chrétiens » et « défini[ssant], en vertu de sa suprême autorité apostolique, qu'une doctrine sur la foi ou les mœurs doit être tenue par toute l'Église ».38

C'est une doctrine catholique manifeste, que l'épiscopat de l'Église particulière de Rome et la primatie visible de juridiction sur l'Église militante universelle ne sont pas deux épiscopats, mais constituent une seule fonction épiscopale. Aujourd'hui, malheureusement, nous sommes enclins à imaginer que le gouvernement de la communauté chrétienne dans la ville du Tibre n'est guère qu'accidentelle au Souverain Pontificat. Symptomatique de cette tendance est la déclaration d'un livre récent, bien écrit, sur l'Année Sainte ; déclaration selon laquelle « l'un des titres du Saint-Père est celui d'évêque de Rome ».39

 

Une telle affirmation n'est pas erronée, mais elle peut être considérée comme quelque peu trompeuse. « Évêque de Rome » n'est pas seulement l'un des titres du Saint-Père, c'est vraiment le nom de la charge qui le constitue successeur de St. Pierre et Vicaire du Christ sur la terre. Et, quand le même livre parle du « retour du Siège apostolique à Rome »,40 en référence à la fin de la résidence des papes à Avignon, il emploie une terminologie assurément mauvaise. Le Siège apostolique, la cathedra Petri [chaire de Pierre], n'a jamais quitté la Ville Éternelle. Les hommes qui dirigeaient l'Église depuis Avignon étaient aussi bien les évêques de Rome que tous les autres successeurs de Pierre. C'est précisément en raison de la résidence en son sein de la Cathedra Petri, inséparable d'elle, que l'Église particulière de Rome possède ses privilèges extraordinaires et ses charismes au sein de l'Église militante.

 

 

Mgr Joseph Clifford Fenton

The Catholic University of America - Washington, D. C.

 

The American Ecclesiastical Review. Pages : 454-464.

The Catholic University of America Press, juin 1950.

 

 

 

1 La Constitution Provida mater ecclesia fut promulguée le 2 février 1947. La traduction de ce passage est celle de Bouscaren dans son Canon Law Digest: Supplement through 1948 (Milwaukee: Bruce Publishing Company, 1949), p. 66.

 

2 Cf. De statu et planctu ecclesiae, I, a. 40, in Iung, Un Franciscain, théologien du pouvoir pontifical au XIV' siecle: Alvaro Pelayo, Évêque et Pénitencier de Jean XXII (Paris: Vrin, 1931), p. III.

 

3 Cf. Summa de ecclesia, II, c. 40 (Venice, 1561), p. 154".

 

4 Cf. Apologia de comparata auctoritate papae et concilii, c. 13, in Pollet's edition of Cajetan's Scripta theologica (Rome: Angelicum, 1935), 1, 299.

 

5 Cf. Commentaria in IV Sent., d. 24.

 

6 Cf. De locis theologicis, Lib. VI, c. 8, in the Opera theologica (Rome: Filiziani, 1900), II, 44.

 

7 Cf. De controversiis christianae fidei adversus huius temporis haereticos (Cologne, 1620), I, col. 811.

 

8 Cf. ibid., col. 812.

 

9 Ibid., col. 813.

 

10 Ibid., col. 814.

 

11 Cf. Valentia's Commentaria theologica (Ingolstadt, 1603), III, col. 276.

 

12 Cf. Tanner's Theologia scholastica (Ingolstadt, 1627), III, col. 240.

 

13 Cf. Suarez' Opus de triplici virtute theologica (Lyons, 1621), p. 197.

 

14 Cf. Sylvius' De praecipuis fidei nostrae orthodoxae controversiis cum nostris haereticis, Lib. IV, q. I, a. 6, in D'Elbecque's edition of Sylvius' Opera omnia (Antwerp, 1698), V, 297; Wigger's Commentaria de virtutibus theologicis (Louvain, 1689), p. 63.

 

15 Cf. De synodo diocesana, Lib. II, c. I, in Migne's Theologiae cursus completus (Paris, 1840), XXV, col. 825.

 

16 Cf. Billuart's Tractatus de regulis fidei, diss. 4, a. 4, in the Summa Sancti Thomae hodiernis academiarum moribus accommodata sive cursus theologiae juxta mentem Divi Thomae (Paris: LeCoffre, 1904), V, 171 f.

 

17 Cf. Perrone's Tractatus de locis theologicis, pars I, c. 2, dans son Praelectiones theologicae in compendium redactae (Paris, 1861), 1, 135.

 

18 Cf. Palmieri's Tractatus de Romano Pontifice cum prolegomena de ecclesia (Prado, 1891), pp. 416 ff.

 

19 Cf. Schultes' De ecclesia catholica praelectiones apologeticae (Paris: Lethielleux, 1931), pp. 450 ff.

 

20 Cf. Franzelin's Theses de ecclesia Christi (Rome, 1887), pp. 210 ff.; Felder's Apologetica sive theologia fundamentalis (Paderborn: Schoeningh, 1923), II, 120 f.; and D'Herbigny's Theologia. de ecclesia (Paris: Beauchesne, 1927), II, 213 ff.

 

21 Cf. Billot's Tractatus de ecclesia Christi, 5th edition (Rome: Gregorian University, 1927), 1, 613 f.

 

22 Cf. Paris' Tractatus de ecclesia Christi (Turin: Marietti, 1929), pp. 217 f.

 

23 Cf. Card. Mazzella's De religione et ecclesia praelectiones scholastico-dogmaticae, 6th edition (Prado, 1905), pp. 731 ff.; Bonal's Institutiones theologiae ad usum seminariorum, 16th edition (Toulouse, 1887), 1, 422 ff.; Tepe's Institutiones theologicae in usum scholarum (Paris: Lethielleux, 1894), 1, 307 f.; Crosta's Theologia dogmatica in usum scholarum, 3rd edition (Gallarate: Lazzati, 1932), 1, 309 ff.; De Groot's Summa apologetica de ecclesia catholica, 3rd edition (Regensburg, 1906), pp. 575 ff.; Hurter's Theologiae dogmaticae compendium, 2nd edition (Innsbruck, 1878), 1, 332; Dorsch's Institutiones theologiae fundamentalis, 2nd edition (Innsbruck: Rauch, 1928), II, 229; Manzoni's Compendium theologiae dogmaticae, 4th edition (Turin: Berruti, 1928), 1, 263; Bainvel's De ecclesia Christi (Paris: Beauchesne, 1925), p. 201; Tanquerey's Synopsis theologiae dogmaticae fundamentalis, 24th edition (Paris: Desclee, 1937), p. 492; Herve's Manuale theologiae dogmaticae, 18th edition (Paris: Berche et Pagis, 1934), 1, 401; Michelitsch's Elementa apologeticae sive theologiae fundamentalis, 3rd edition (Vienna: Styria, 1925), p. 378; Van Noort's Tractatus de ecclesia Christi, 5th edition (Hilversum, Holland: Brand, 1932), p. 188; and Lercher's Institutiones theologiae dogmaticae, 2nd edition (Innsbruck: Rauch, 1934), 1, 378 ff.

 

24 Cf. Saiz Ruiz, Synthesis sive notae theologiae fundamentalis (Burgos, 1906), pp. 430 ff.; Calcagno, Theologia fundamentalis (Naples: D'Auria, 1948), pp. 229 f,; et Dieckmann, De ecclesia tractatus historico-dogmatici (Freiburg-im-Breisgau: Herder, 1925), 1, 437 f.

 

25 Cf. Granderath, Constitutiones dogmaticae sacrosancti oecumenici Concilli Vaticani ex ipsis eius actis explicatae atque illustratae (Freiburg-im-Breisgau: Herder, 1892), pp. 137 ff. Bien que l'enseignement de Soto n'ait pas été condamné, la doctrine selon laquelle la primatie pourrait être retirée de Rome par la décision d'un concile général ou du peuple dans son ensemble a été proscrite par Pie IX dans son Syllabus des erreurs. Cf. DB. 1735.

 

26 Cf. Saiz Ruiz, op. cit., p. 433.

 

27 Cf. Suarez, op. cit., p. 198; Mazzella, op. cit., p. 738; Manzoni, op. cit., p. 264.

 

28 Cf. St. Robert, op. cit., col. 813.

 

29 Cf. ibid., col. 814 .

 

30 Cf. Sylvius, op. cit., q. I, a. 4, conclusio 3, p. 291.

 

31 Cf. Franzelin, op. cit., pp. 213 f.; Crosta, op. cit., p. 312, cite Franzelin sur cette question. Il est intéressant de noter que les doctrines de ces scolastiques coïncident avec l'enseignement de l'exégète Allo sur ce sujet. Cf. son Saint Jean: L'Apocalypse, 3ème édition (Paris: Gabalda, 1933), pp. 264 ff.

 

32 Ep. 59, in CSEL, 3, 2, 683.

 

33 Cf. Hosius, Confutatio prolegomenon Brentii (Lyons, 1564), pp. 170 ff.

 

34 Cf. Driedo, De ecclesiasticis scripturis et dogmatibus (Louvain, 1530), lib. 4, c. 3, pp. 549 ff.

 

35 Cf. St. Robert, op. cit., col. 812.

 

36 Cette lettre est incluse dans la liste des épîtres de St. Cyprien, n. 30.

 

37 Cf. DB, 730.

 

38 DB, 1839.

 

39 Cf. Fenichell and Andrews, The Vatican and Holy Year (New York: Halcyon House, 1950). p. 89.

 

40 Ibid., p. 4.

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